“ Pourquoi tu n'enlèves pas le reste du costume, hein?
”“ J'ai pas de chandail là-dessous... C'est qu'il fait chaud... Là-dessous...
”Je baisse le menton devant l'officier qui semble plus impatient qu'intrigué ou amusé.
J'ai l'air débile. Complètement débile. Habituellement, avec le masque, j'ai l'air un peu plus crédible. J'ai l'air effrayant, en fait. Mais là, j'ai retiré la grosse tête de lapin et je ne suis qu'en costume gris et poilu devant une policier qui pourrait avoir certainement mieux à faire. Je rondis le dos et me blottis un peu contre moi-même. Assis à une table de métal poli pour les dédaigneux et leurs cousins. Je la fixe parce que j'ai honte de fixer ailleurs. Et mon visage qui se fait de la boue entre la peur et l'envie de pleurer. De l'insécurité à l'état pur. Une moue de retenu. Je ne sais pas quoi dire ni même comment rester immobile. C'est la première fois qu'on m'arrête et m'amène au commissariat. Et je suis terriblement inquiet. Je ne veux pas passer une seconde de ma vie en taule. Pas une seconde.
“ La caissière nous a dit te voir entrer dans l'intention de la violenter ou de voler un truc dans le magasin et elle nous a immédiatement appelé. Que faisais-tu avec ce costume dans ce dépanneur à cette heure du soir?
”C'est ce que dit l'homme devant moi. Je serre les dents et réponds en fuyant son regard, sinon je vais rougir:
“ Je comptais pas la violenter ou la voler... Elle a eut peur... J'imagine... Je suis vraiment... Vraiment désolé... Je voulais vraiment pas... Lui faire de mal. C'est que j'allais chez une amie et je comptais me déguiser pour l'effrayer. C'était juste une blague. Et j'avais vraiment soif. J'avais besoin d'une bouteille d'eau. Je suis entrée dans ce dépanneur pour m'en acheter une. Je comptais payer, c'est vrai.
”Et traverse ma prunelle sur la sienne, sévère et dure. La mienne est suppliante et presque en larmes. Je n'ai pourtant rien à craindre, non? À moins d'une grande malchance, je vais m'en tirer indemne. Je n'ai rien fait de mal, alors je suis innocent et on me relâchera. Je dis vérité.
Non. À l'officier, je mens. Je mens très bien, je n'aime pas ça, mais je mens tout de même. Je n'allais pas chez une amie pour lui faire une blague. J'allais effrayer les gens dans la rue parce que ça me fait vivre un peu plus. Bien avant ma mort. Ironique. Mais il est bien vrai que je n'entrais que dans ce dépanneur dans l'idée d'acheter une bouteille d'eau et repartir. Avoir sût que la caissière réagirait en crise et en coup de téléphone chez mes flics...
“ Tu connais la loi sur les ports de masque en public à Stonehaven?
”Me dicte l'officier avec ses airs draconiens qui me donnent cinq ans tout au plus.
La voilà ma malchance.
Avec ma patte velue, j'ébouriffe mes cheveux en grand mal aise et se trouble mon visage d'angoisse déjà appréhensif. Je ne dis rien. Non, je ne connais pas la loi. Je n'ai jamais voulut la connaître par crainte que ce que je fasse à chaque semaine soit illégal. De crainte que je me retrouve dans cette situation.
Le policier me trouve pitoyable ou il en a vu de pire. Il soupire et ferme le dossier devant lui comme s'il avait s'agit d'une boîte de beignes.
“ Bon. Tu peux déguerpir. Prends ça comme un avertissement. Je veux plus te revoir dans le coin avec ton costume ringard, c'est compris?
”Je m'échoue sur mon dossier de chaise et m'y relève rapidement. En deux temps bien comptés et tout aussi drastique l'un que l'autre. D'une part je suis soulagé, de l'autre, j'ai hâte de prendre la fuite. Je n'aime pas ça ici. C'est une forêt de mal-aimés dont je ne connais pas les arbres. Je frissonne à son odeur et son aspect trop pâle.
“ M-m-merci beaucoup! Merci! Ne vous inquiétez pas... Je retourne chez moi et... Vous ne me reverrez plus. Merci.
”Et le lapin prend la fuite direction son terrier. Les dalles du plancher défile sous mon regard bien penché qui évite tout autour. Et je souris. Très bêtement. Dieu du Ciel je suis toujours en deux morceaux - mon costume et moi! Au comptoir de l'entrée:
“ Daniel Collin King. J'avais un portefeuille et... une tête de lapin...
”La secrétaire, si c'en est une, me fait un faux sourire, me demande de patienter et tourne les talons. Mes doigts pianotent le stress encore palpable dans leurs phalanges maladroites sur le comptoir neutre et je soupire. J'ai vraiment cru un moment que j'allais faire de la taule pour une telle connerie. Et je réfléchis. Que je devrais désormais être très prudent lorsque je fais mes évasion nocturne dans mon habit de lap
“ Vous avez voulu vous venger encore et encore des sévices infligés par votre mère, et avez finit par tuer une innocente. Désormais je vous laisse une nuit pour passer aux aveux et me dire ou est le corps. Auquel cas, vous serez transféré au centre pénitentier le plus proche. Celui on sont les cousins McDougall.
”Je me retourne. À l'autre bout de la pièce, il y a une jeune femme qui sort d'une pièce. Et cette jeune femme a quelque chose. Quelque chose de charismatique, aura de miel et de cendre qui s'étale sous ses pas. Je la gobe de l'œil, bouche béate ouverte, jusqu'à ce qu'elle s'évapore dans la porte principale du commissariat. Je la connais. Peut-être pas de ma vie, mais je la connais d'une certaine façon. Sa voix à quelque chose qui a toujours été dans le fond de mon être. Son air haut et raffiné est celui de ma mère ou d'une amie - qu'importe! Elle claque les talons jusqu'à la sortie et me tire par le collet de la même occasion.
Hors de ma bulle, il y a la femme du comptoir terne qui me rend mes choses. Je range mon portefeuille dans la poche de mon costume et trottine jusqu'à la sortie avec la grosse tête de lapin contre mon torse à deux bras. Ses oreilles démantibulées me font cadre de la porte du commissariat. J'ouvre la porte avec plus de fracas que je m'en aperçois et aspire le froid de l'air d'un bon coup de narines. Puis virevoltent mes pupilles dans le noir de la soirée à travers le paysages ordinaire de marches, d'une rue, de son autre côté et d'un trottoir.
Elle se trouve sur le trottoir.
Je soupire. Encore. Exactement pour la même raison que j'eus fait la première fois. J'abaisse la tête de mascotte que je saisis en fine subtilité par les oreilles et m'approche à pas coussins de cette tignasse noire. Je remercie une deuxième fois les astres d'avoir conservée cette dame non loin. Elle m'est très précieuse à cet instant, bien que j'ignore toujours pourquoi.
Je m'approche alors d'elle. Sans faire un son. Je suis d'hypnose par sa beauté, certes. Mais par bien d'autres traits de sa personne. Ce qu'elle dégage, sa force de ventre, la brise de sa truffe et son parfum de prestance. Elle est ravissante et importante, et elle se sait. Elle se vôtre sans trop s'en rendre compte sous les rayons de lune qui lui donne toute une vie, et elle en devient encore plus spéciale. Je suis à sa hauteur, et je lui souris à grandes dents dans le plus parfait des mutisme, à la dévorer du regard.
Je comprends maintenant ce qui cloche agréablement bien chez cette jeune femme. Ce n'est pas une jeune femme c'est une fleur. Un fleur qui parle, qui marche et qui vit comme une jeune femme. Mais c'est une fleur. Elle est déguisée, la rusée. Très bien même. Mais c'est une fleur. Son regard est doucereux comme la poussière du soleil et vif comme le tranchant d'une feuille. Sa peau à la teinte de pétale porte l'arôme du rose involucre, ses cheveux sont des lianes qui ne veulent pas finir de s'étaler sur la tige de son dos. Ses omoplates délicates sont des bractées qui se terminent sur le bout des doigts les plus innocent et agressifs que mes yeux aient put dénicher. Inflorescence d'une gorge à souhait, elle respire comme la foliacée des printemps achevés.
Et elle n'est pas qu'une fleur. Elle est
ma fleur. Celle que je cherche il y a de cela des jours, des semaines. Que j'ai tenté de trouver en épluchant tous les fleuristes de la ville. Mais je n'avais pas à fouiller les jardins, je devais chercher dans les commissariats...
Je ris faiblement, mais ne dis pas plus mot. Je reste en contemplation. Je suis heureux. Fou de joie. Cette fleur, ce personnage crucial à mon histoire, elle est là. Droit devant moi. Aussi gentille ou hypocrite elle puisse être. C'est elle. Je lui dois tout que par sa simple existence.